Dans cet article, je vais vous expliquer pourquoi je ne
crois pas un seul instant à une hausse des taux de la FED.
Depuis quelques
temps, la Fed a commencé à agiter la menace d’une hausse des taux au nez des
marchés et des investisseurs.
Celle-ci surviendrait
en même temps que la fin définitive du programme d'assouplissement quantitatif, les QE.
La Fed n’a pas
été la seule à jouer ce petit jeu, la BoE l’a déjà fait l’an dernier (j’en
parlais déjà à l’époque dans cet article: BoE: Préparez-vous à la hausse des taux) mais depuis lors a tellement mis d’eau dans son vin qu’on
en vient à se demander s’il y a encore du vin dans leur verre.
Techniquement, je
ne crois pas une seule seconde à une hausse des taux et je vais vous expliquer un
peu plus loin pourquoi c’est mathématiquement impossible. Les États sont
tellement endettés que cela équivaudrait à un suicide économique d’une ampleur
sans précédent.
Tout d’abord,
laissez-moi tordre le cou à une vilaine croyance relayée par certains économistes de
comptoir de buffet de la gare qui annoncent fièrement que si les taux montent la charge d’intérêts des États endettés augmenterait d'autant. Pour en évaluer l’ampleur, ils
appliquent le différentiel de taux directement au total de l’endettement des
pays. Cela donne de beaux grands chiffres effrayants et ça fait peur à tout le
monde, mais c’est totalement absurde.
En effet, lorsque
un État s’endette, il émet des titres d’obligation à durée fixe et taux d’intérêt
fixe durant toute la durée de vie de l’obligation. Les intérêts annuels payés à
partir du premier jour jusqu’à l’échéance équivaudront à :
valeur nominale
x taux d’intérêt nominal (nominal = fixé dès le départ).
Cela ne variera pas d’un
iota quand bien même les taux se mettent à monter en flèche.
Par contre, si les
taux montent, cela affectera les nouvelles émissions obligataires, celles
émises dans le futur. Le passé est le passé et ce qui est fait est fait. Tant
que les États réduiront leurs déficits, en appliquant la Règle d’Or* notamment,
alors ils pourraient passer à travers toutes les hausses de taux qu’on veut
sans trop souffrir.
La vraie menace vient
du marché secondaire.
Il faut savoir
que les obligations d’État sont principalement souscrites par les Zinzins** et
ces gars en sont friands : faible risque, rendement régulier et top
fiabilité. Comme on dit : Un État ne peut pas faire faillite… Du coup,
leur bilans en sont tapissés de partout, de la cave au grenier.
Dans le cas des banques
et des assurances, cette exposition n’est pas sans risque. En cas de besoin de
liquidités, elles doivent vendre les titres détenus sur les marchés secondaires.
Or, le prix obtenu sur le marché secondaire est directement dépendant des taux
du moment et non pas des taux à l’émission.
Lorsque les taux
du marché montent, la valeur de revente des obligation baisse et vice-versa.
Démonstration :
Imaginons une obligation de
1.000$ émise au pair et remboursable au pair (pour faire simple) à un taux d’intérêt
de 1 %, sera négociée à sa valeur faciale sur le marché secondaire tant que les taux d’intérêts du
marché restent à 1%. Le montant d’intérêts perçu par le détenteur sera de 1000$
x 1% = 10$ par an.
Imaginons
maintenant que les taux grimpent à 2%. Les investisseurs qui rachètent des
obligations sur le marché secondaire s'attendront à obtenir un rendement de 2%
sur leur investissement. Comme le taux d’intérêt facial ne peut pas être
changé, c’est sur la valeur de l’obligation qu’ils vont agir pour arriver au rendement souhaité.
Dans le cas de notre obligation, pour que le
coupon de 10$ corresponde à 2% de l’investissement initial, de combien faut-il
baisser le prix de l’obligation ?
Voyons les flux
monétaire sur la durée de vie de l’obligation d’un point de vue de l’investisseur :
Achat obligation :
-1000$ (investissement initial)
Intérêts perçus :
+10$/an
Remboursement de
l’obligation : +1000$
Total Cash :
100$ sur 10 ans, soit 1% par an.
100$ / 1000$ / 10 ans = 1%/an
En tenant compte de
la valeur de remboursement, pour que l’ensemble de l’opération rapporte du 2%,
il faudra que l’investissement initial soit de : 918$.
En ajoutant le remboursement
de 1000$ et les 100$ d’intérêts, l’investisseur se retrouvera avec un
surplus monétaire de 182$, soit 2% de rendement annuel.
182$ / 918$ / 10 ans =
2%/an
Dans notre
exemple, la diminution du prix de l’obligation nécessaire pour refléter la
hausse des taux est de 82$, soit 8,2% du montant initial.
L’investisseur
(une banque, une assurance ?) qui n’aurait souscrit que ce genre d’obligation
dans son portefeuille le verra frappé d’une perte latente de 8% par % de taux d’intérêts
à la hausse.
Si les du marché taux
passent à 5%, c’est alors une baisse de 27% que les obligations de notre
exemple subiront.
Vous pouvez donc
voir l’effet de levier catastrophique que pourrait avoir la hausse des taux sur
la valeur de marché des obligations.
Pour autant que l'institution n'a pas à vendre cette obligation sur le marché secondaire, il n'y a pas lieu de s'inquiéter.
Cependant, il faut savoir
que les normes comptables des banques les obligent à appliquer la règle du « held
at fair value », c-à-d enregistrer les actifs détenus en portefeuille à
leur valeur de marché afin de montrer une image réelle de l’état du patrimoine
de l’institution détentrice.
Quand on sait que
la plupart des banques européennes ont du mal à passer les « stress tests »
et que depuis 2008 elles naviguent à la limite de la sous-capitalisation. Une
capitalisation correcte veut que la valeur des avoir détenus + leur capital
soit plus élevée que leurs dettes et engagements.
Depuis la crise
financière qui a failli leur coûter la vie, les banques ont ralenti leur prêts
à risque (aux entreprises et particuliers) pour se gaver Bons d’État. Si les
taux montent, ce sont l’ensemble des obligations présentes dans leur
portefeuille qui verront leur valeur tomber, mettant ainsi à risque leur
solvabilité.
Les ratios de solvabilité
des banques tourne actuellement aux alentours de 2,5% à 6%.
Une hausse des
taux aurait un impact létal sur l’ensemble des institutions financières
chargées de bons du Trésor.
Pour vous donner
un ordre de grandeur :
La dette
américaine est actuellement de l’ordre de 18 millions de millions de dollars.
Source : http://www.brillig.com/debt_clock/
Oui, ça fait :
18.000.000.000.000 $ à quelques milliards près (j’ai arrondi au trillion
inférieur).
Le taux de
référence à 10 ans est actuellement de 1,75%.
En cas de passage
à 2,75% de ce taux, et pour autant que toute cette dette soit émise à 10 ans, c’est
une baisse de valeur de marché de près de 1,4 millions de millions de dollars du
total des obligations émises qu’on assistera.
En comparaison
avec le dernier QE de 40 milliards de dollars par mois, cela représente 417
mois de QE, soit 35 ans de Quantitative Easing !
Est-ce que les institutions financières américaines sont-elle prêtes à accuser un tel coup ?
Si vous m’avez
suivi jusqu’ici, vous comprenez mieux pourquoi la FED a depuis des années
persisté à manipuler les taux du marché à la baisse en achetant activement des
obligations sur le marché secondaire.
Le système qu’ils ont contribué à mettre
en place ne pourra jamais résister à une hausse des taux, ne fût-ce que de 1%.
L’inefficacité
flagrante des QE, qui n’a pourtant pas empêché super Mario de lancer le sien
sur la Zone Euro, n’a fait juste qu’aggraver la situation.
A l’origine ces
plans étaient destinés à débarrasser les banques des surplus d’obligations
publiques afin de leur dégager des liquidités qu’elles pourraient prêter aux
entreprises pour investir et ainsi relancer la croissance.
Néanmoins, c’est
tout le contraire qui s’est produit. Les banques, chétives par nature se sont
refermées comme des huîtres en pourchassant les obligations d’État les plus
solides et les moins risquées, c-à-d celles qui ont le taux d’intérêt le plus
bas. Or, ce sont justement ces obligations qui sont le plus exposées en cas de
hausse des taux.
Si Jeanette Yellen
met son plan de remontée des taux en œuvre, mieux vous ne pas trop avoir de
liquidités en banque, elles risquent d’en avoir plus besoin que vous.
A mon avis, les taux sont condamnés à baisser tant qu'on n'aura pas trouvé de solution structurelle à la crise actuellement en cours depuis 8 ans maintenant. Ils ont bien réussi à gagner du temps pour le moment, mais jusque quand cela va-t-il encore pourvoir durer ?
Bonne année à tous !
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* La Règle d’Or
consiste à se tenir à un budget équilibré sans aucun déficit : recettes =
dépenses.
** En jargon de
la Finance, les zinzins sont les institutionnels présents sur les marchés :
Banques, Fonds de Pension, Organismes de placements collectifs, assurances, etc
qui ont de grand montant de liquidités à placer pour le compte d’autrui.
Superbe article !
RépondreSupprimerPour ma part, un fameux pas en avant dans ma compréhension sur les obligations/évolution des taux.
Merci pour tant d'efforts de vulgarisation.
La Fed vient encore d'annoncer qu'elle n'était pas pressée de relever ses taux, de peur de menacer la croissance encore fragile. Hahaha, après avoir lu l'article ci-dessus on ne peut qu'en rire car ils trouveront plein d'excuses pour ne jamais relever les taux tout en annonçant qu'ils vont le faire.
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